Reprise des années après, d’une réflexion commencée en 2013, à un moment où les trip reports du dernier RC à la mode fleurissaient sur les forums francophones, attirant toujours plus de nouveaux adeptes.
Les temps ont changés et pourtant…
Ce n’est pas nouveau, car déjà avant le web, les livres ou les films pouvaient donner envie de consommer (les livres de la beat génération, le mythique « Las Vegas Parano », etc.). Cependant, le cyber monde regorge à la fois d’ informations sur les drogues, mais aussi de divers moyens pour se les procurer rapidement et sans bouger de chez soi (smartshops, rc shops ou darknet), voir les fabriquer (champis, cannabis, etc.). Une mode se répand très vite par son intermédiaire, d’un bout à l’autre de la planète, le bouche à oreille est international, viral.
Le professeur Reynault (psychiatre et addictologue), expliquait dans un MOOC sur les addictions ceci:
« On a une perception de la norme qui est faussée, qui est vraiment liée au milieu dans lequel on évolue »
« On consomme, on se comporte comme son groupe social »
« L’initiation est très liée au groupe de pairs »
Source :
Que sont les plateformes en ligne ? Groupes Facebook privés, forums, communautés Discord, etc. ? Est-ce que ces lieux virtuels participent à crée de nouvelles normes et à les diffuser?
Un usager du forum Psychonaut disait à ce sujet il y a quelques années que c’est une boite de pandore :
« Tu t’inscris et cinq ans plus tard t’es polytoxicomane… Et avec des produits pire que ceux que tu consommais avant »…
Un autre psychonaut, partageait son analyse après des années de forums (divers et variés) et disait ceci :
« Regardons l’exemple du marketing, personne ne dit être influencé par la publicité, et pourtant des sociétés misent le paquet sur des pubs les plus cons possibles à la télé ou la radio, j’en conclu donc que l’homme est très influençable, mais déteste l’avouer.
Pour faire bref, car c’est un sujet qui m’est cher et je pourrais en faire des pages, il n’y a pas ici que de l’info, vous proposez une communauté et cela répond a des besoins. Vos pseudos existent, ils ont une hiérarchie, ont un besoin de reconnaissance et beaucoup de membres vivent au travers d’eux.
J’ai suffisamment d’expérience en matière de forum pour affirmer que c’est addictif, que certains y placent une importance démesuré et que selon les caractères cela peut facilement nuire aux relations sociales familiales et amoureuses et bien entendu si ce forum parle de drogue cela a la possibilité d’attiser un démon et de relativiser, en dédramatisant, des consommation déjà existantes ou transformer des pulsions en actes.
N’oubliez pas que vous êtes lus par beaucoup plus de gens que le nombre d’inscrits, n’oubliez pas qu’en tapant n’importe quel nom de drogue dans google on tombe direct sur ce forum, n’oubliez pas que beaucoup de mineurs vous lisent. C’est pourquoi, dire que psycholand est le plus beau des pays me parait dangereux.
L’addiction à un forum est comparable à celle de toutes communautés, répondant notamment à des besoins élémentaires de l’homme, le besoin d’appartenance et la reconnaissance, inutile de démontrer ce qu’ils peuvent amener à faire, l’histoire n’est faite que de ça.
Est il bon, quand on parle déjà de drogue d’y rajouter de tels attraits? Je suis convaincu que pleins de nouveaux aimeraient intégrer cette « tribu » et y être reconnus. Est ce une bonne idée de tenter les plus sensibles? Ne sommes nous pas déjà dans une apologie encore plus sournoise que le simple « strop bon sproduiiiiiiiiittt »? Qui n’a jamais connu celui qui fumait à l’école pour faire comme les p’tis copains? »
On peut lire la suite de sa réflexion assez complète par ici.
Les forums d’auto-support sont des communautés d’apprentissage social et d’éducation par les pairs, à priori donc capables de diffuser de nouvelles normes.
S’ils participent à les répandre, c’est probablement autant en ce qui concerne les « bonnes pratiques » (échanges de seringues, matériel et conseils de RDR, etc.) que des nouvelles pratiques à risques (par exemple banalisation de l’usage des NPS, slam, etc.)…
Mais être « rassuré » par des gens qui consomment plus que soi, est-ce une bonne chose au final…? D’autant qu’on ne voit toujours qu’une partie de l’iceberg: un individu à un instant T, peut être en « lune de miel », sans voir son parcours avec le produit en intégralité.
Des premiers forums d’usagers tels que Lucid-State, où le charisme de certains avait participé à la mode du microdosage d’iboga (loin d’être anodine vu la pharmaco du bazar et l’accumulation de la noribogaïne dans le corps et les interactions), en passant par les rassemblements IRL de Psychonaut ou encore aux consommateurs de cathinone sur Psychoactif, des exemples il y’en a beaucoup.
Sur ce dernier, j’y ai vu des membres comme Bootspoppers arriver avec un « bagage » de conso assez faible (« Je bois peu, je fume un cigare par an, je suis très naïf pour le reste. Sauf pour les poppers où je suis depuis un an adepte de la défonce. » disait-il dans son blog), et se mettre au DXM puis à la 3-MMC. Quelques extraits:
« vous ne pouvez pas imaginer comment vos histoires de défonce m’ont excité…Ce soir ce sera probablement au DXM et voilà le processus construit en vous lisant les uns et les autres. »
« Voici mon premier trip report aux RC, en l’occurrence 3 MMC. Mon premier sniff aussi ! J’ai commencé par me documenter sérieusement en consultant le site Psychowiki et en suivant la conversation « 3 MMC wahou » initiée par Tess@ ! [ note : cette dernière écrivait à son tour sur le blog de Bootspoppers qui parlait de DXM: « Boots, comment j’ai adoré ton tr sur ton premier trip au dxm. Il m’a donné le sourire et…une furieuse envie d’essayer. » Possible exemple d’influence réciproque]
J’ai posé quelques questions sur les techniques, et j’ai lu également comment Psychowiki conseillait de sniffer. J’ai alors établi un plan de charge validé par messages privés avec une amatrice expérimentée, en quelque sorte ma « marraine ». »
L’Alchimiste (paix à son âme) avait quelques écrits très « inspirants » à ce sujet, dont même Pierre (l’admin de PA) reconnaissait que :
« Certains ont gouté au délices des cathinones parce qu’ils ont lu ces trips report (comme moi). »
Des décès et des hommages, il y’en a eu sur les forums. Notamment sur Psychonaut, qui a consacré un thread pour les « psychos disparus ». Mais on retrouve cette tendance ailleurs, comme ici sur l’anglophone Bluelight. On ne peut affirmer que tous ces décès sont liés aux substances (il y’a des cas où c’est très clair, d’autres on ne sait pas), mais toutes ses disparitions prématurées nous rappellent néanmoins que les « paradis artificiels » ont parfois une issue définitive.
Alors certes, les forums sont en perte de vitesse, mais pour y être intervenu pendant 2 ans, on retrouve la même chose sur les groupes Discord et des histoires similaires (je pense à ce jeune homme arrivé sur Delta Plane, qui consommait « juste » du cannabis et qui après avoir découvert les RC a basculé en 2 mois dans une consommation très problématique – le menant à l’hospitalisation – de pyrovalérones, ou encore un autre qui après avoir commandé sur un shop a reçu « par erreur » de la NEP en quantité, et a vrillé).
Et que dire de l’IA, que de plus en plus de personnes utilisent…que ce soit dans une optique de RDR (avec des résultats parfois aberrants), de sevrage, pour faire pousser ses champis (véridique !) ou autres. On sait que les algorithmes ont tendance à nous enfermer dans des « bulles cognitives », à nous conforter dans nos façons de penser, qu’elles soient perspicaces ou délirantes…d’autant plus risqué quand il s’agit de dope. Et c’est sans prendre en compte la dimension profondément addictive des mondes virtuels en eux mêmes…
Alors, tous et toutes sous influence(s) ?
