Ayahuasca : un autre regard

Encore quasi inconnue en occident il y a 50 ans, l’ayahuasca s’est démocratisée peu à peu jusqu’à devenir l’objet d’un tourisme (chamanique) à grande échelle.

En France, au début des années 2000, des livres, des forums et des films tels que « Blueberry » et « d’autres mondes » ont participé à faire connaître le breuvage amazonien.

Le déclin / le rejet du christianisme et la perte de sens qui vient avec le matérialisme ambiant, sont un terreau fertile pour les spiritualités exotiques, le new âge et le « chamanisme » bénéficie d’un effet de mode. Nombre d’occidentaux projettent leurs fantasmes et espoirs dans ce voyage, que ce soit en quête de guérison physique ou psychique, d’aventures, de lutte contre les addictions, de réponses diverses, etc.

Bien souvent, le curandero (parfois aussi brujos) est idéalisé, voir idolâtré, donnant subitement une importance énorme, à une petite communauté dans la jungle et / ou à un individu particulier. Ce qui n’est pas sans effets…car ce ne sont pas forcément des sages, et ici ou à l’autre bout du monde, le pouvoir change les gens. Entre l’appât du gain et les risques de prédation sexuelle, on sait aujourd’hui que les dérives existent. Que ce soit des gens non expérimentés qui s’improvisent chaman pour l’argent, ou ceux avec de l’expérience mais qui manipulent leur public, car sous ce genre de substances l’individu se trouve dans un état de grande suggestibilité.

Rien de nouveau me direz vous. Mais ce dont on parle moins, c’est de sorcellerie.

J’en vois déjà certains sourire. C’est vrai qu’en Europe, on ne croit plus à ces conneries n’est-ce pas ? Superstitions d’un autre âge. Si la science ne valide pas, ça n’existe pas. Mais n’est-ce pas là d’une grande arrogance ?

Est ce que sous couvert de décolonisation, nous ne perpétuons pas sous une autre forme une sorte de supériorité ?

Les bons sauvages restent tout de même des sauvages… Nous on s’est libéré de l’emprise de la religion, des contes et autres histoires à dormir debout. Libérés mais pour quoi…la Science ? Une autre forme de croyance – remise régulièrement en question – mais qui se veut objective…(même si elle est souvent instrumentalisée).

Ces peuples disent pourtant encore récemment, que la liane est considérée comme « une technologie de la connaissance » et qu’elle « n’est pas un psychédélique, c’est un être doué de sensibilité».

D’ailleurs, certains occidentaux qui sont partis vivre un temps en Amazonie, apprendre ces « médecines », mettent en garde.

Jacques Mabit par exemple, ancien médecin depuis plus de 30 ans au Pérou, développe son point de vue dans une série de 4 vidéos (sorties sur la Gazette de l’abîme). Même s’il a fait l’objet de critiques et a été poursuivi en justice en France, qu’on ne partage pas sa vision des choses, son expérience et sa connaissance du sujet reste tout de même intéressant :

Il explique notamment ceci dans un article :

« Un occidental qui va se balader en Amazonie et qui ne connaît pas ce genre de choses ou les nie, qui ne prend pas un minimum de précautions, qui se croit protégé par sa bonne foi ou par le fait « de ne pas y croire », s’expose à être atteint par ces pratiques sorcières et au mieux en sortir déstabilisé au niveau énergétique et psychique, au pire y laisser sa santé mentale ou sa vie. »

Certains pensent que parce qu’on ignore ce danger, on y est encore plus vulnérable. Pour citer une phrase connue d’Usual Suspect : « le coup le plus rusé que le diable ait réussi, c’est de convaincre tout le monde qu’il n’existe pas. »

Un autre témoignage qui va dans ce sens, c’est celui d’Alexandre – podcast « Substance » – qui part pendant 1 an au Pérou pour faire une « diète » (au sens chamanique du terme) :

https://soundcloud.com/user-408029022/alexandre-et-lemergence-de-la-pensee-magique-23-la-diete?utm_source=clipboard&utm_medium=text&utm_campaign=social_sharing

Ce qu’il dit par exemple sur un chaman charismatique bien connu dans le milieu, ou ses observations lors de son apprentissage, montrent bien les guerres de pouvoir et les risques associés à ces pratiques, dont on parle peu en Europe (par déni ou bien peur d’être discrédité, voir ridiculisé).

Zoë Hababou – qui se décrit comme écrivain-voyageuse et ayahuasquera – dit ceci dans un article de son blog (se reporter à « la face obscure des plantes »):

« Disons d’emblée que la plupart des chamans amazoniens réalisent aussi bien des actes de guérison que de sorcellerie. Considérés comme mineurs, ils justifient ces actes comme moyen de se défendre des brujos (sorciers) ou des maleros (malfaiteurs) qui s’en sont pris à eux, à leurs proches, ou à leurs patients.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que le guérisseur d’un village a toutes les chances d’être perçu comme un sorcier pour le village voisin. Chaque guérisseur défend ses ouailles et les guérit des sorts jetés par le brujo voisin en lui revoyant ses méfaits, et inversement, dans un cycle sans fin. Celui qui a le pouvoir de guérir a donc également le pouvoir de nuire, parce qu’il faut maîtriser la sorcellerie pour pouvoir la retirer, et selon l’endroit où l’on se place, on est toujours le sorcier de quelqu’un...

De plus, n’oublions pas qu’en vertu de cette fameuse loi du talion, rétablir la justice en renvoyant un sort est considéré comme nécessaire au maintien de l’équilibre spirituel, sans compter que faire retour à l’envoyeur est souvent décrit comme l’unique moyen d’ôter une chonta (fléchette) de sorcellerie.

Ajouté à ça, il y a des guerres incessantes entre chamans au sein même de toutes les communautés shipibos, voire entre membres d’une même famille, souvent causées par la jalousie de voir l’un d’entre eux réussir mieux que les autres dans le domaine de l’Ayahuasca, qui, comme on le sait, est devenue une manne alimentant l’avidité de pouvoir et le désir d’enrichissement financier.

Cette sorcellerie dite mineure comprend également la pratique traditionnelle des puzangas, ces filtres d’amour qui font partie du jeu social quotidien et s’inscrit dans une démarche normale de séduction entre hommes et femmes.

S’embarquer dans le chamanisme requiert de faire preuve de discernement. L’Ayahuasca, en particulier, est un canal rêvé pour les entités obscures qui cherchent à nous posséder, une porte ouverte pour l’intrusion du Mal.« 

L’antropologue Jeremy Narby, bien connu pour avoir écrit « le serpent cosmique » évoquait aussi ces dangers dans une publication liée à un colloque à l’hôpital Marmottan :

« J’ai parlé avec plusieurs spécialistes indigènes. Ils affirment qu’il faut de longues années de pratique, jusqu’à 25 ou 30 ans, pour atteindre une vraie maîtrise de l’ayahuasca et pour être à même de l’administrer dans de bonnes conditions. Les bons ayahuasqueros sont donc rares. Ils disent aussi que l’ayahuasca n’a pas que des utilisations positives. Le savoir/pouvoir auquel il donne accès peut aussi bien être utilisé à des fins négatives que positives. Dans ce sens, les indigènes avec qui j’ai parlé confirment tous la réalité de la sorcellerie.

Il y a déjà des occidentaux qui ont payé au prix fort leur côtoiement du côté négatif de l’ayahuasca : malaises psychiques et physiques, dépressions aggravées, et même plusieurs suicides. Un homme m’a dit à propos des séances d’ayahuasca qu’il a vécues et qui étaient mal administrées : « Je me suis senti réduit en miettes, comme si mon psyché avait été démonté mais pas reconstruit. » Cet homme a fini par se suicider deux ans et demi après cette expérience — il souffrait déjà de dépression récurrente avant s’approcher de l’ayahuasca. Par ailleurs, il y a également de nombreux cas où des ayahuasqueros utilisent leur charisme pour séduire des clientes femmes.« 

On dit souvent que les psychédéliques ouvrent des portes (les fameuses « portes de la perception » d’Aldous Huxley, qui ont inspiré le nom du groupe « The Doors »), mais lesquelles exactement ? De nombreux trip reports évoquent les rencontres avec des entités (anges, démons, extraterrestres, etc.)…mais quels sont les risques au niveau spirituel ?

Le fondateur de NFH, a vécu aussi une expérience profonde et traumatisante il y a maintenant pas mal d’années, suite à une prise unique d’ayahuasca dans un cadre chamanique, là voici :

A l’heure où des sites / magazines grand public font des articles sur le thème, mettent en avant les propriétés thérapeutiques, qu’il est très simple de réserver un week end pour faire une « session », plus facilement dans des pays limitrophes mais en France également, il est important de se questionner sur l’impact de ce genre de cérémonies.

De plus, bien souvent une surenchère à lieu dans ce type d’évènements, certains organisateurs proposant d’autres rituels avant / après, comme celui du kambo, un venin de grenouille connu pour avoir provoqué des décès (risques cardiovasculaires notamment). Les interactions à ne pas faire ne sont pas toujours bien stipulées, et les propriétés IMAO du caapi, peuvent engendrer un syndrome sérotoninergique en combinaison avec des antidépresseurs ou bien une prise trop rapprochée de MDMA ou de tramadol par exemple.

Stay safe…


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